Article ReptilMag n°92 Karim Daoues : La Ferme Tropicale a 30 ans

ReptileMag n°92

Interview de Karim Daoues:

REPTILmag : La Ferme Tropicale fête ses 30 ans d'existence cette année : pourrais-tu nous dire ce que cela te procure comme sentiment ?

Karim Daoues : C'est un sentiment ambigu. C'est d'une part une grande fierté d'avoir réussi à m'épanouir, à apprendre et à vivre de ma passion, et d'autre part, j'ai pour regret de ne pas avoir jusque-là réussi à créer un modèle d'élevage me correspondant : un élevage tenant compte du bien-être animal, avec une utilisation rationnelle des ressources énergétiques et une gestion à long terme du patrimoine génétique.

REPTILmag : Finalement Karim, tu soignes des reptiles et d'autres animaux insolites depuis combien de temps en réalité ?

Karim Daoues : D'aussi loin que je puisse me souvenir, j'ai toujours été attiré par le monde animal avec une fascination particulière pour les reptiles. J'aime à penser que j'ai appris à marcher tôt pour attraper les vers de terre et les fourmis.

Mes choix ont toujours été dictés par cette indéfectible attirance pour le règne animal. À 14-15 ans, au collège, je faisais déjà un peu de reproduction et des échanges avec des éleveurs. J'ai quitté l'école à 17 ans et après être allé voir ce qui se faisait ailleurs en Europe ou aux États-Unis, j'ai finalement créé La Ferme Tropicale à 19 ans.

REPTILmag : As-tu eu une formation particulière, préalable, qui t'a aidé au lancement de la Ferme Tropicale ?

Karim Daoues : Je m'amuse souvent à dire que je suis bac -2 ! Je suis totalement autodidacte, ce qui n'est pas toujours un avantage. Cela m'a obligé à travailler davantage, mais m'a probablement aussi permis d'être plus créatif et de sortir des sentiers battus.

REPTILmag : Pourrais-tu nous donner des chiffres concernant l'activité de la Ferme Tropicale ? Combien d'animaux sont passés entre vos mains ? Combien de personnes ont été formées ? Combien d'anciens salariés sont dans le métier ? Combien de visiteurs ? Etc

Karim Daoues : 30 années d'activité, ça c'est facile, et nous avons même adapté temporairement le logo pour le marteler fièrement. Plus de 300 salariés ont participé au développement de La Ferme Tropicale, plus de 5 000 personnes ont été formées au travers de l'ensemble de nos offres, et ce sont plus de 40 000 clients qui passent la porte du magasin tous les ans. Et, j'ai eu entre les mains plus de deux millions de reptiles et d'amphibiens en 30 ans…

 

REPTILmag : Pourrais-tu nous raconter la genèse de l'ouverture de la Ferme Tropicale ? Pourquoi ? Comment ? Où ?

Karim Daoues : Je n'étais pas très scolaire, mais très passionné et cette passion est devenue une occupation à plein temps dès mes 17 ans. Mes parents ont toujours été compréhensifs et ne m'ont jamais fixé de réelle limite concernant mes animaux (j'en avais plus de 200 à l'époque !). C'est donc naturellement, sans vraiment l'avoir réfléchi, que j'ai fait ce qui me semblait être la seule possibilité d'assouvir ma passion et d'en vivre; ouvrir un commerce ! Je suis donc allé emprunter de l'argent auprès de ma famille et ai ouvert une petite boutique de 44 m² dans le quartier de Chevaleret à Paris. J'ai passé le tout premier certificat de capacité “vente et transit” et ai commencé cette aventure en fonçant tête baissée, quitte parfois à apprendre douloureusement les réalités de l'entrepreneuriat.

 

REPTILmag : Que représente aujourd'hui la Ferme Tropicale, d'après toi, dans le paysage terrariophile français et européen ?

Karim Daoues : Ce n'est pas vraiment à moi de le dire, mais ce que je peux lire ou entendre me donne le sentiment d'avoir accompli quelque chose. C'est pour moi une vraie récompense.

 

REPTILmag : Quels sont les animaux emblématiques qui ont marqué la carrière de la Ferme Tropicale ?

Karim Daoues : Il y en a eu beaucoup, Toto, notre iguane mascotte, des Cyclura cornuta, iguanes rhinocéros qui se sont pour la première fois reproduits en France dans nos locaux, un python réticulé calico, le premier Boa constrictor albinos en France, des tortues rayonnées, Astrochelys radiata, des alligators albinos (désormais à l'Aquarium de la Porte Dorée) et un groupe de Varanus varius.

 

REPTILmag: La Ferme Tropicale a dépassé le cap de la vente d'animaux ou de matériel pourrais-tu nous décrire les autres métiers dans lesquels elle fait son chemin?

Karim Daoues : La vente d'animaux et de matériel demeure la plus grande partie de notre activité. Nous avons dû nous adapter à l'envolée des coûts pour rester compétitif, notamment au travers de notre propre marque.

La formation est depuis 15 ans une activité stimulante, qui oblige à perpétuellement se remettre en question et à faire de la pédagogie à tous les niveaux de l'entreprise. Nous participons régulièrement à des tournages de films ou de documentaires, à des prises de vue publicitaires ou des shooting photos. C'est moins connu, mais j'ai également une activité de consultant.

 

REPTILmag: Concernant la formation des amateurs, pourrais-tu nous indiquer quelle forme cela prend, concrètement ?

Karim Daoues : La terrariophilie n'est pas un espace de liberté et il faut en comprendre les règles. La première contrainte vient des reptiles, amphibiens et arthropodes eux-mêmes, de leurs besoins précis, de leur mode de communication et d'expression qui ne correspond aux codes d'aucun autre animal. En se substituant à la nature, nous avons des devoirs envers les animaux pour satisfaire leur mode de vie.

Ensuite, nous vivons dans un cadre réglementaire complexe qu'il faut comprendre et appliquer pour moins avoir l'impression de le subir.

Nos formations visent à donner des fondations solides pour ensuite pouvoir évoluer plus efficacement par soi-même. Pour cela nous appliquons une pédagogie basée sur la compréhension des interactions dans la nature, sur les connaissances scientifiques et sur notre expérience.

 

REPTILmag : As-tu des projets particuliers destinés au développement de la Ferme Tropicale à nous confier (en exclusivité) ?

Karim Daoues : J'aimerais un jour créer un parc de reptiles en zone tropicale pour éluder certaines des contraintes techniques qui limitent l'observation des animaux. C'est un projet à long terme qui me permettrait de rendre compatible ma soif d'apprentissage et cette passion sans faille qui m'anime depuis toujours.

Mais c'est un projet de grande envergure que je ne peux pas associer à la gestion quotidienne de La Ferme Tropicale. Et pour le réaliser, il faudrait que j'accepte de passer le relais, voire de vendre La Ferme Tropicale …

 

REPTILmag : Quelles sont les pratiques et les techniques qui ont révolutionné la terrariophilie d'après toi?

Karim Daoues : L'augmentation rapide du marché de la terrariophilie dans les années 2000 a eu, selon moi, une double origine. L'accessibilité et la transmission de l'information ont été grandement facilitées, d'abord par des livres, puis par internet. L'augmentation du nombre de terrariophiles a simultanément permis à des marques de développer des produits performants, facilitant l'accès à un public plus large. La sélection par l'homme de nouvelles colorations et la maîtrise des techniques de reproduction ont logiquement eu pour effet d'approvisionner et d'étendre le marché.

 

REPTILmag : Quel est ton avis concernant la dualité apparente entre la terrariophilie hygiéniste et la terrariophilie naturaliste (terrarium naturel)?

Karim Daoues : La nature n'est heureusement pas stérile, nos terrariums non plus ! Le curseur peut varier, pour chacun, entre la compréhension du comportement basique de l'animal et l'observation d'interactions plus larges dans le milieu de vie. Les deux ne sont pas incompatibles, et chacun peut être amené à évoluer dans sa conception de la terrariophilie. Je n'ai pas de jugement, tant que l'on cherche avant tout à comprendre le comportement animal afin de satisfaire à son bien-être plutôt que de satisfaire son plaisir personnel.

 

REPTILmag : Que penses-tu de l'orientation que prennent les politiques de la protection des animaux élevés en captivité ?

Karim Daoues : C'est une préoccupation, pour ne pas dire une menace pour notre passion, mais aussi indirectement pour les animaux eux-mêmes. La réglementation est nécessaire, mais son évolution dictée par une pensée idéologique va aboutir à l'effet inverse de celui recherché. Consanguinité, trafic et perte de connaissances sont les dommages les plus faciles à prévoir, mais ce ne seront malheureusement pas les seuls.

 

REPTILmag: Comment penses-tu possible de concilier captivité et sauvegarde ou plutôt sauvetage de l'environnement ?

Karim Daoues : L'activité humaine actuelle est déjà incompatible avec la protection globale de la nature. Je prends le parti de communiquer, de sensibiliser et de partager ma compréhension de ces animaux pour leur laisser une place à côté de l'homme. La terrariophilie est en cela un outil, certes imparfait, mais elle n'est pas une fin en soi.

Nous consacrons tous les ans un budget pour des actions de protection des reptiles dans la nature ; c'est intéressant et stimulant de se confronter à ses propres ambiguïtés. J'ai la chance de beaucoup voyager et je ne peux que constater que la nature disparait partout à une vitesse folle au profit de l'agriculture ou de la désertification.

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